L’Eglise Protestante Unie de France suit l’Eglise catholique pour changer la traduction de la 6e demande.

Le Vatican avait annoncé fin 2013 qu’il avait entériné le fait de changer la 6e demande du Notre Père qui était : « ne nous soumets pas à la tentation » en « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Les réactions ont été diverses.

Les protestants se sont trouvés un peu pris de court… ils avaient été avertis fraternellement de cette initiative mais n’y avaient pas été associés.
Lors de son synode national de mai 2016, l’Eglise Protestante Unie de France a décidé de suivre l’Eglise romaine et donc d’adopter dans sa traduction « officielle » la traduction « ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Voir là la décision du synode

Cette décision a été faite dans une perspective oecuménique tout en rappelant qu’aucune traduction n’est imposée dans les célébrations et que toute traduction est de toute façon discutable.

UNE QUESTION DE THÉOLOGIE

Certains se sont réjouis qu’on abandonne une formulation qui laissait penser que Dieu pouvait être sujet de la tentation, ou du mal en général. Dans ce sens, il y a le célèbre verset de Jacques 1:13 : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise: c’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne ». D’autres l’ont regretté pour des arguments théologiques opposés en pensant que la tentation pouvait avoir du bon. Par delà nos opinions théologiques, ce qui est certain, c’est que la nouvelle proposition est plus littérale que l’ancienne. Le verbe utilisé en grec « eisphéro » signifie bien « faire entrer », comme en Luc 5:18 et 19 où un paralytique est introduit dans une pièce par ses amis qui l’y font entrer par la toit. Le verbe grec peut donc tout-à-fait légitimement être traduit par « entrer », plus en tout cas que par « soumettre » qu’il ne signifie jamais. La seule question peut être de savoir sur quoi porte la négation présente dans le texte, et qui peut être comprise donc de deux manières : soit « ne nous fais pas entrer… », soit « fait que nous n’entrions pas… ». Dans le premier cas, Dieu peut être celui qui fait que nous soyons tenté et dans le second, celui qui nous évite la tentation.

UNE DÉMARCHE PEU ŒCUMÉNIQUE DE L’EGLISE DE ROME

Cela dit, même si l’on se réjouit que l’une des demandes du Notre Père soit revue, plus littéralement et dans une théologie que l’on peut préférer, la démarche de l’Eglise catholique a eu quelque chose de regrettable. En effet, le texte que tous les chrétiens utilisaient était issu d’un consensus œcuménique datant de 1966. Là, un comité formé de catholiques, de protestants et d’orthodoxes avaient proposé une traduction unique pour que tous les chrétiens francophones disent la prière de leur unique Seigneur d’une même voix. Certes, cette traduction, sans doute faite à la hâte, était critiquable, tous les théologiens, catholiques comme protestants étaient même presque unanimement d’accords pour dire qu’elle était mauvaise. Mais il y avait l’avantage de cette version unique. En sortant unilatéralement de ce consensus, l’Eglise romaine fait cavalier seul, et met les autres plus ou moins devant le fait accompli. C’est dommage et anti-œcuménique. On aurait préféré qu’elle propose une démarche commune pour parvenir à un nouveau texte commun.

Mais il faut bien dire que peut-être certains protestants sont un peu vexés d’avoir été pris de court par l’Eglise romaine. Les protestants qui militent pour une Eglise toujours en réforme, s’adaptant sans cesse se trouvent là dépassés par une Eglise romaine qui a su faire preuve d’initiative, d’audace et de nouveauté. C’est elle qui s’est montrée la plus dynamique en disant que s’il y avait quelque chose à changer, à perfectionner, il fallait le faire, et tant pis pour les vieilles habitudes. Elle l’a fait, et peut-être a-t-elle eu raison, si il avait fallu réunir un comité, discuter encore des lustres et des lustres par une démarche compliquée, on n’aurait jamais rien changé. Donc elle a pensé qu’il fallait aller de l’avant et elle l’a fait, en remontrant même aux protestants dans la capacité à se renouveler. L’attitude des protestants n’était pas évidente. Rester sur l’ancienne formule aurait été dommage, simplement suivre l’Eglise romaine pouvait donnerl’impression qu’ils faisaient allégeance et leur orgueil pouvait être mis à mal… Pour des raisons purement oecuménique donc l’Eglise Protestante Unie de France (fusion de l’Eglise Réformée et de l’Elise luthérienne) a décidé lors de son synode national de mai 2016 de s’aligner sur la décision catholique. C’est une bonne chose d’un point de vue institutionnel.

Reste qu’elle aurait pu avoir une attitude encore plus réformatrice.

RÉVISER PLUS ET MIEUX ?

En effet, la traduction de 1966 avait bien des imperfections, on n’y touchait pas pour des raisons œcuméniques. Maintenant que Rome a brisé ce consensus, la liberté est peut être donnée aux autres de réformer aussi… Et il est vrai qu’il n’y a pas que la 6e demande qui était imparfaitement rendue, pourquoi modifier seulement celle-là ? Si on commence à revoir la traduction, il faut tout revoir. Et justement, il y a bien d’autres questions et imperfections qu’il faudrait corriger.

PROBLÈME DU « COMME » (NOUS PARDONNONS…)

En particulier, se pose le problème du « comme » dans « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». La traduction actuelle laisse penser que le pardon de Dieu est conditionné par le pardon que nous saurions ou non donner à nos frères ou sœurs. Théologiquement, c’est fort discutable, et on peut vouloir s’en tenir à ce que dit Paul : « De même que Christ vous a pardonné, pardonnez-vous aussi » (Col 3 :13) qui montre que le pardon de Dieu est premier, et que c’est pardonnés que nous pouvons apprendre à pardonner à notre tour… avec l’aide de Dieu. Certes, il y a une articulation entre le pardon reçu et le pardon donné. Le pardon, c’est une ouverture qui ne peut fonctionner que dans les deux sens, mais on pourrait préférer que la traduction ne fasse pas forcément dépendre le pardon de Dieu du nôtre. Les manuscrits anciens laissent apparaître d’ailleurs dans la forme du verbe désignant le pardon que nous donnons plusieurs variantes significatives montrant que cette question est ancienne. On pourrait donc préférer quelque chose comme « Pardonne nous nos offenses, et que nous pardonnions aussi à ceux qui nous ont offensés ». Ainsi la prière du Notre Père serait de demander aussi l’aide de Dieu pour le pardon difficile que nous avons à donner.

OFFENSES OU DETTES ?

Pendant qu’on y est, on peut aussi se demander si cette habitude de parler d’ « offenses » est défendable. Le texte original n’a pas le mot « offenses », mais « dettes ». Peut être que le mot « dette », dont on comprend qu’il peut signifier l’offense, est plus large, et on pourrait préférer ainsi « remets nous nos dettes, et que nous remettions aussi à ceux qui nous doivent »… En tout cas cela mériterait d’être discuté.

QUEL PAIN « DE CE JOUR » ?

Ensuite est le célèbre problème concernant le pain « de ce jour ». Il est bien connu que le texte original dit : « donne nous aujourd’hui notre pain… » et ensuite suit un adjectif (epiousion) unique dans le Nouveau Testament et difficile à traduire. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne signifie certainement pas « de ce jour », pas plus que « quotidien ». On a deux pistes pour la signification de ce mot. Par une étymologie il pourrait signifier : « au dessus de la substance », il s’agirait alors du pain qui est au-delà du matériel, le pain spirituel, c’est la solution qu’avait adopté les Cathares qui disaient « super-substanciel ». L’autre sens, apparemment plus attesté, serait : « de demain », ce qui peut être compris matériellement : « donne nous notre pain pour aller jusqu’à demain », ou plus certainement d’une façon spirituelle pour désigner le pain du demain eschatologique, du demain de Dieu, le pain du Royaume éternel vers lequel nous nous dirigeons. On pourrait ainsi avoir plusieurs traductions possibles : « donne aujourd’hui nous notre pain spirituel », ou « donne aujourd’hui nous notre pain pour demain », ou encore et ce qui serait sans doute le meilleur : « donne nous aujourd’hui notre pain éternel ».

DE QUEL MAL DOIT-ON ÊTRE DÉLIVRÉS

Et puis encore, se pose le problème de la mention du mal à la fin. Tous les exégètes sont d’accords pour dire qu’il ne s’agit pas du « mal » en général, mais de la personnification du mal, de l’origine même du mal. Or ce pourquoi on demande l’aide de Dieu, c’est de nous délivrer de la source même du mal, de l’origine du mal, de l’intention du mal, pas seulement du mal collatéral que nous pouvons subir ou donner sans qu’il signifie quoi que ce soit. Mettre simplement « délivre nous du mal » rabaisse la demande aux effets alors qu’il s’agit des causes profondes, et certainement trahit la prière de notre Seigneur. Ainsi certains mettent-ils souvent un « M » majuscule : « délivre-nous du Mal ». Mais cela ne sonne pas à l’oral. Alors on mettait autrefois : « délivre-nous du malin », mais cela ne parle certainement plus beaucoup aux jeunes de notre époque. Alors sans doute qu’il serait bon de mettre par exemple : « délivre nous de l’origine du mal », ou « délivre nous de la source du mal ».

QUE VIENT FAIRE « SUR LA TERRE COMME AU CIEL »?

Et ce n’est pas tout. Très problématique est le « sur la Terre comme au Ciel ». Notre version habituelle laisse penser que cela ne concerne que la troisième demande : « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Mais c’est là réduire considérablement la signification de cette proposition. Ce que l’on observe, c’est que le Notre Père commence par trois demandes célestes (concernant Dieu), puis finit par quatre (certains en comptent trois, mais il y a bien quatre verbes de demande) demandes terrestres (concernant l’homme). Et entre les deux parties, il y a une agrafe : « sur la Terre comme au Ciel » qui fait passer de l’une à l’autre. Ce n’est donc pas une suite de la troisième demande, mais une proposition indépendante. On peut même penser qu’elle concerne les trois premières demandes : « Que ton nom soit sanctifié sur Terre, comme il l’est dans le Ciel », « que ton règne vienne, sur Terre, comme il l’est dans le Ciel », et « que ta volonté soit faite, sur Terre, comme elle l’est dans le Ciel ».

D’ailleurs la traduction actuelle est mauvaise parce qu’elle inverse l’ordre du Ciel et de la Terre par rapport à l’original, et surtout par rapport à la logique du texte lui-même. Ce qui est écrit littéralement, c’est « comme au Ciel, et aussi la Terre ». On a bien le Ciel d’abord, puis vient la Terre, et dans la prière, on commence par le Ciel, puis vient le basculement : « comme au Ciel…. et ainsi soit la Terre », puis viennent les quatre demandes terrestres. Il faudrait donc rétablir l’ordre. Et aussi par la même occasion comprendre que cette proposition est en quelque sorte comme un vœu indépendant, et non juste la suite d’une demande. Elle a une importance intrinsèque qu’elle doit retrouver. On peut donc proposer de mettre un point à la ligne après « que ta volonté soit faite », et mettre sur une ligne toute seule : « Comme au Ciel, ainsi soit la Terre ».

ENTRER OU ENFERMER ?

Et enfin, si l’on revient au « ne nous soumets pas à la tentation » qui a tout déclenché, on peut vouloir aller plus loin, ou trouver que le « ne nous laisse pas entrer » n’est pas la meilleure solution. Cette proposition fait de Dieu quelqu’un qui agirait passivement. Mais la proposition peut se lire comme une négation active : « fais que nous n’entrions pas », ce serait déjà mieux. Mais là encore, Dieu ne serait pas totalement lavé de la suspicion d’être à l’origine du mal. Si il peut faire que nous ne soyons pas tentés, alors si nous sommes tentés c’est de sa faute. On revient au problème précédent. Il faudrait trouver une formulation qui évite cet écueil. Une idée peut venir du verbe « eisphéro » qui signifie « faire entrer », comme on fait entrer quelqu’un dans une pièce fermée, et dont il peut être difficile de sortir. Or le problème, ce n’est pas tant de passer par la tentation que d’y rester et de s’y enfermer. On pourrait donc mettre : « ne nous laisse pas enfermer dans la tentation ».

TENTATION OU ÉPREUVE ?

Et ce n’est pas tout. Le mot « peirasmon » peut désigner la tentation, mais aussi l’épreuve. Il n’est pas certain que le choix de garder « tentation » soit le meilleur. En particulier, aujourd’hui, il semble que le mot « tentation » évoque chez beaucoup de nos contemporains quelque chose d’un peu trivial, comme la tentation de manger du chocolat. Alors que l’épreuve désigne quelque chose de beaucoup plus large, tout le monde subit des épreuves, et on peut demander à Dieu de nous permettre de ne pas y succomber. L’épreuve d’ailleurs peut recouper la notion de tentation. On peut donc préférer choisir ce sens et mettre : « ne nous laisse pas enfermer dans l’épreuve ».

ET DONC…

Et puis pendant qu’on y est, on peut aussi se demander si on ne pourrait pas garder l’ordre original de la phrase grecque pour les trois premières demandes qui mettent le verbe avant le sujet, c’est plus joli, et surtout plus fort… et par-ci par-là essayer d’être le plus près possible du texte original, tant que la clarté du sens n’en pâtit pas.

Quoi qu’il en soit il y aurait là un véritable chantier auquel il serait bon que les Eglises s’engagent. Les éléments ci-dessus ne sont que des remarques pointant certains problèmes, et des propositions de solutions, mais sans doute y a-t-il des formulations plus heureuses à trouver.

Et peut-être que le fait qu’il n’y ait plus de consensus est une chance pour chacun, certes il est bon de dire le même texte tous ensemble, mais une prière n’est pas une récitation, et le Christ s’est opposé quelques versets avant le Notre Père aux « vaines redites » (Matt. 6:7). Renouveler la version du Notre Père, c’est une opportunité de repenser ce que nous disons parfois sans plus trop y penser et en faire une véritable prière qui peut sans cesse nous surprendre et nous étonner.

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